regard jeune enfant en pleurs

Traumatismes et carences précoces : leurs effets sur le développement de l’enfant et sur le devenir de l’adulte

Qu’est-ce qu’un traumatisme ?

Liébert (2015) définit quatre types de traumatisme :

  • la maltraitance physique et sexuelle
  • la maltraitance psychologique
  • les carences éducatives et affectives graves
  • l’abandon

La négligence physique fait référence aux problèmes de nutrition, d’hygiène, de soins médicaux ou éducationnels ; la négligence psychologique ou émotionnelle est définie par le manque de chaleur affective, de contact physique et l’ignorance des signes de besoin et d’attention.

Bien que ces deux types de négligence soient souvent combinés, la négligence émotionnelle aurait des conséquences plus néfastes sur le développement social et émotionnel de l’enfant (Strathearn, 2011). Ces négligences, conduisant à des carences physiques ou affectives, entrent dans le cadre des maltraitances.

Fréquence des traumatismes précoces

Les études épidémiologiques ont montré que les expériences de traumatismes précoces sont courantes (50% de la population aux États-Unis) et leur fréquence similaire dans les pays riches et pauvres (McLaughlin, 2016). Outre la violence physique et sexuelle, le manque d’investissement, d’amour, et la négligence représente une forme de maltraitance insidieuse, qui serait d’ailleurs la plus fréquente, en France comme aux États-Unis (60% à 75 % des situations de maltraitances ; Moureau et Delvenne, 2016 ; Viezel et al, 2014 ; Strathearn, 2011) et représenterait un tiers des cas de fatalité par maltraitance (Viezel et al, 2014).

Effets des traumatismes et carences précoces

Selon Moureau et Delvenne (2016), le traumatisme n’est pas défini pas sa cause, mais par ses effets.

Comment les effets des traumatismes sont-ils étudiés ?

Les effets des traumatismes pendant l’enfance ont été largement étudiés mais d’importantes limitations méthodologiques doivent être prises en compte. Ces études sont généralement rétrospectives (études épidémiologiques) et non spécifiques du type de traumatisme impliqué (négligence, abus sexuel ou physique, maladie mentale des parents, désastre ou catastrophe naturelle); de plus il n’est souvent pas possible d’évaluer si l’évènement avait été perçu comme traumatique par l’enfant (Snyder et al, 2012).

Impacts des traumatismes précoces sur le langage et le comportement social de l’enfant

La négligence (physique et émotionnelle) est associée à un risque important de retard dans l’acquisition du langage, des difficultés scolaires et de fonctionnement social et à un déclin progressif du fonctionnement cognitif (Strathearn, 2011).

Tous les types de maltraitance n’auraient pas les mêmes conséquences (Teicher & Samson, 2016). Viezel et al (2014) ont comparé deux formes de maltraitance conduisant au placement de l’enfant, la négligence et l’abus (physique ou sexuel). Leur étude sur un échantillon d’enfant âgés de 5 à 18 ans suggère que la négligence exerce l’effet le plus délétère sur le comportement adaptatif (communication, socialisation et activités journalières).

Dans une étude récente (Miller et al, 2018), les carences étaient associées à un risque accru de problèmes d’externalisation, qui seraient médiés par le retard de langage ; au contraire les menaces étaient liées à la fois à des problèmes d’internalisation et d’externalisation, mais non médiées par le langage.

Effets des traumatismes et carences précoces sur la santé de l’enfant

Les événements traumatiques précoces représentent une menace dans la satisfaction des besoins du jeune enfant et exerce une contrainte sur son développement (Raymond et al, 2018). Les études pédiatriques longitudinales montrent que ces expériences négatives précoces peuvent être à l’origine de retards développementaux et de plusieurs problèmes somatiques comme l’asthme, les infections récurrentes, les troubles du sommeil (Oh et al, 2018). Cependant, la variabilité des réponses suggère l’implication de mécanismes sous-jacents complexes et de facteurs multiples, comme l’âge au moment du traumatisme, l’histoire de vie, le bagage génétique, la sévérité et la nature du traumatisme, la présence de facteurs de protection et de risque (comme la présence ou l’absence d’un proche soutenant, le type de relation précoce dont il a bénéficié). Ces nombreux facteurs peuvent mitiger ou exacerber l’impact du traumatisme (Oh et al, 2018 ; Teicher et al, 2016).

Effets à long terme des traumatismes et carences précoces

dessin d'enfant suggérant la peur

L’influence au long court des expériences négatives précoces sur la santé mentale est centrale dans les modèles étiologiques des psychopathologies. L’étude américaine ACE (Adverse Childhood Experience) a été la première à révéler de fortes associations entre l’exposition à des évènements traumatiques pendant l’enfance et un large éventail de problèmes de santé mentale à l’âge adulte (MacLaughlin, 2016). Les évènements traumatiques précoces confèreraient une vulnérabilité à la psychopathologie, les troubles mentaux pouvant débuter pendant l’enfance, l’adolescence ou à l’âge adulte. En particulier, 45% des troubles psychiatriques débutant pendant l’enfance seraient liés à la maltraitance (Teicher & Samson, 2016). La répétition ou l’accumulation d’événements traumatiques augmente le risque de répercussions négatives sur le développement à long terme (Moureau et Delvenne, 2016 ; Raymond et al, 2018).  Les effets seraient non spécifiques, incluant le risque de développer des troubles de l’anxiété, de l’humeur ou de la personnalité, l’abus de substance et l’état de stress post-traumatique (MacLaughlin, 2016 ; Moureau et Delvenne, 2016).

Des événements traumatiques vécus pendant la période préverbale peuvent avoir des conséquences à long-terme et être réactivés plusieurs années plus tard, du fait de la trace imprimée dans la mémoire implicite inconsciente, largement médiée par l’amygdale et liée à la réponse corporelle dans les situations de peur. Cette mémoire n’est pas accessible de manière déclarative (Kaplow et al, 2006). Le cortex frontal, qui continue à se modifier jusqu’à la fin de l’adolescence, pourrait être plus sensible au traumatisme tardif alors que l’hippocampe serait plus sensible aux traumatismes précoces (Moureau et Delvenne, 2016).

Aspects neurobiologiques des traumatismes et carences précoces

La maltraitance pendant l’enfance a été liée à un dérèglement des circuits immunitaires et neuroendocriniens qui peut conduire à des modifications de l’architecture cérébrale et d’autres systèmes d’organes pendant les périodes sensibles du développement (Oh et al, 2018).

Les traumatismes précoces engendrent un niveau de stress important pouvant devenir chronique, surtout en l’absence de soutien adéquate et de protection par les adultes. Ce stress toxique (Oh et al, 2018) a des répercussions sur la sécrétion de cortisol, et sur la régulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA) sous-tendant la réponse au stress. Une élévation prolongée du taux de cortisol pourrait induire une altération du fonctionnement des systèmes neuronaux du stress, particulièrement malléable pendant la petite enfance (Moureau et Delvenne, 2016).

La régulation du système physiologique de stress

La perception d’un stress par le cerveau déclenche l’activation du système HPA, avec une cascade de réactions partant de l’hypothalamus et conduisant à la production et libération de cortisol (un glucocorticoïde, GC) dans la circulation sanguine. Il existe deux mécanismes de régulation de l’axe HPA permettant le maintien de l’homéostasie. Le cortisol étant soluble, il peut passer dans le cerveau et se fixer sur des récepteurs spécifiques localisés dans différentes structures cérébrales (Tyrka et al, 2013).

  • Une première boucle de rétroaction négative inclut l’hypothalamus et la glande pituitaire ; elle va inhiber la cascade conduisant à la production de cortisol.
  • Une seconde boucle inclut l’hippocampe et le cortex préfrontal d’une part qui va inhiber l’axe HPA, et l’amygdale d’autre part, ayant une action activatrice.

Le bon fonctionnement de toutes les zones cérébrales impliquées dans la réponse au stress est nécessaire à une régulation efficace. Or ces régions ne se développent pas au même rythme. Le volume de l’hippocampe augmente pendant les deux premières années de la vie, alors que la maturation est beaucoup plus lente pour l’amygdale (complète après 20 ans) et le cortex préfrontal (CPF, qui se développe entre 8 et 25 ans). L’expérience de stress chronique aura donc un effet différentiel sur certaines régions du cerveau en fonction de l’âge auquel elle survient.

Le stress peut induire des modifications structurelles et fonctionnelles du cerveau

Les études sur les animaux ont montré que la sécrétion chronique de glucocorticoïdes (GC) pendant le développement précoce conduisait à des modification morphologiques, structurelles et épigénétiques de ces structures : une atrophie dendritique et une diminution de l’expression des récepteurs au GC au niveau du cortex préfrontal (CPF) et de l’hippocampe et une augmentation des embranchements dendritiques au niveau de l’amygdale ; ces modifications réduisent les effets de rétroaction négative du système HPA (Hostinar et al, 2014).

Les études sur l’homme sont plus complexes à réaliser et les résultats sont encore inconsistants. Les études basées sur des questionnaires d’autoévaluation ont révélé une forte association entre les modifications cérébrales et la négligence émotionnelle ou physique. Les effets neurobiologiques des carences précoces ont été largement déduits d’observation d’enfants ayant grandi en orphelinat. En particulier, l’étude d’adoption d’orphelins Roumains (Bucharest Early Intervention Study) a montré l’impact et la réversibilité des négligences précoces sur le développement du cerveau (Teicher & Samson, 2016).

La recherche neuroscientifique, en particulier l’imagerie neuronale, a mis en évidence un certain nombre de modification de l’architecture du cerveau chez des enfants et des adultes ayant subi des traumatismes précoces : une diminution du volume globale, des troubles de la gyrification (degré de plissement du cortex) et de l’épaisseur corticale. Le volume de l’hippocampe et du CPF serait plus faible chez les adultes ayant subis des évènements traumatiques précoces, mais pas chez les enfants, suggérant un effet toxique à long terme de ces expériences négatives. Le volume de l’amygdale serait augmenté chez certains enfants exposés au stress (placement précoce en institution ou dépression maternelle de longue durée), et chez les adultes ayant subi des traumatismes pendant l’enfance (mais seulement au niveau de l’amygdale droite) (Raymond et al, 2018).  Le système limbique, lieu de la mémoire et de la réactivité émotionnelle, semble particulièrement sensible au stress. Des perturbations ont été observées au niveau du noyau amygdalien, impliqué dans les réactions de peur et d’agressivité. Par son effet sur les structures sous-corticales, le stress précoce provoquerait une hypersensibilité ultérieure pour des stress mineurs avec des conséquences mentales et physiques pouvant persister à l’âge adulte (Moureau et Delvenne, 2016).

Une diminution du nombre de neurones au niveau du cortex préfrontal a été observée chez des enfants maltraités, avec un impact possible sur les fonctions exécutives et attentionnelles qui pourrait expliquer les difficultés de symbolisation et de mentalisation rencontrées dans cette population clinique. Dans les cas de négligence les plus graves, le développement du cerveau pourrait être atteint de manière définitive, empêchant le développement de certaines fonctions comme l’empathie ou la capacité à réguler les émotions, pouvant se traduire par une impossibilité à gérer la frustration et à contenir la violence (Moureau et Delvenne, 2016).

Hypothèse de la vulnérabilité cognitive

L’hippocampe sous-tend des fonctions mnésiques et joue un rôle important dans la capacité d’apprentissage (consolidation de mémoire déclarative et épisodique). Le CPF contrôle l’attention et la régulation des émotions. L’amygdale est impliquée dans la mémoire émotionnelle, la détection des émotions et l’interprétation du danger et joue un rôle crucial dans la régulation de l’axe HPA. La densité de récepteurs aux GCs étant particulièrement élevée dans ces régions du cerveau, elles seraient plus sensibles à l’effet neurotoxique des GCs pendant certaines périodes de développement (Tyrka et al, 2013). Le stress précoce induirait une altération des fonctions cognitives médiées par ces structures cérébrales, en particulier une atteinte de la mémoire de travail visuelle et verbale, et une modification de la compréhension et de la régulation des émotions (Raymond et al, 2018). De plus, la maltraitance pendant l’enfance, en altérant le CPF, limiterait sa capacité de control (top-down), en particulier l’inhibition de la réponse limbique ; cet effet pourrait contribuer aux symptômes d’anxiété, les signaux ascendants en provenance de l’amygdale n’étant pas suffisamment modulés. Des études chez des adultes et des enfants ayant subi des traumatismes précoces, une concentration de cortisol élevée était associée à une connectivité moindre entre le PFC et l’amygdale (Tyrka et al, 2013).

Influences génétiques et effets épigénétiques du stress précoce

Les effets du stress pourraient être médiés en partie par certains gènes lui conférant une sensibilité plus grande. Par exemple, des interactions entre la maltraitance pendant l’enfance et certaines variantes du gène transporteur de la sérotonine ou celui régulant la sensibilité aux GCs ont été mises en évidence dans la dépression. Cependant il est probable que de nombreux gènes soient impliqués simultanément (Tyrka et al, 2013).

Les variations épigénétiques concernent l’expression des gènes, des modifications chimiques (comme la méthylation) pouvant bloquer l’accès à certains facteurs de transcription. Chez les rongeurs, la carence de soins maternels augmente la méthylation du gène codant pour le récepteur au GC (jouant un rôle important dans la modulation de la réponse au stress), diminue le nombre de récepteurs au GC et modifie la réponse hormonale et comportementale au stress. Les quelques études chez l’homme semblent corroborer ces résultats et ont révélé des modifications épigénétiques d’autres gènes impliqués dans la régulation du stress (systèmes neuroendocrinien, neurotrophique et des monoamines) chez des adultes ayant subi des traumatismes précoces (Tyrka et al, 2013).

Attachement et stress précoce

Sources

Hostinar C.E., Sullivan R.M., Gunnar M.R. (2014). Psychobiological mechanisms underlying the social buffering of the Hypothalamic-pituitary-adrenocortical axis: a review of animal models and human studies across development. Psychological Bulletin, 140 (1), 256-282.

Kaplow J.B., Saxe G.N., Putman F.W., Pynoos R.S. and Lieberman A.F. (2006). The long-term consequences of early childhood trauma: a case study and discussion. Psychiatry, 69 (4), 362-375.

Liébert P. (2015). Quand la relation parentale est rompue, Paris : Dunod.

McLaughlin K.A. (2016). Future directions in child adversity and youth psychopathology.  Journal of Clinical Child & Adolescent Psychology, 45(3), 361-382.

Miller A.B., Sheridan M.A., Hanson J.L., McLaughlin K.A., Bates J.E., Lansford J.E, … Dodge K.A. (2018). Dimensions of deprivation and threat, psychopathology, and potential mediators: a multi-year longitudinal analysis. Journal of Abnormal Psychology, 127 (2), 160-170.

Moureau A et Delvenne V. (2016). Traces cérébrales des traumatismes infantiles et devenir psychologiques. La psychiatrie de l’enfant, 59, 333-355.

Oh D.L., Jerman P., Marques S.S., Koita K., Boparal S.K, Harris N., Bucci M. (2018). Systematic review of pediatric health outcomes associated with childhood adversity. British Medical Journal Pediatrics, 18, 1-19.

Raymond C., Marin MF., Majeur D., Lupien S. (2018). Early child adversity and psychopathology in adulthood: HPA axis and cognitive dysregulation as potential mechanisms. Progress in Neuropsychopharmacology & Biological Psychiatry, 85, 152-160.

Siegel D.J. (2001). Towards an interpersonal neurobiology of the developing mind: attachment relationships, mindsight, and neural integration. Infant Mental Health Journal, 22 (3), 67-94.

Snyder F.J., Roberts Y.H., Crusto C.A., Connell C.M., Griffin A., Finley M.K., … Kaufman J.S. (2012). Exposure to traumatic events and behavioural health of children enrolled in an early childhood system of care. Journal of Traumatic Stress, 25, 700-704.

Strathearn L. (2011). Maternal Neglect: oxytocin, dopamine and the neurobiology of attachment. Journal of Neuroendocrinology, 23, 1054-1065.

Teicher M.H. & Samson J.A. (2016). Annual Research review: enduring neurobiological effects of childhood abuse and neglect. Journal of Child Psychology and Psychiatry, 57(3), 241-266.

Tyrka A.R., Burgers D.E., Philip N.S., Price L.H., Carpenter L.L. (2013). The neurobiological correlates of childhood adversity and implications for treatment. Acta Psychiatrica Scandinavica, 128, 434-447.

Viezel K.D., Lowell A.S, Castillo J. (2014). Differential profiles of adaptive behavior in maltreated children. Psychological Trauma: Theory, Research, Practice and Policy, 6 (5), 574-579.

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